Énergies renouvelables : les Epl, moteurs de la souveraineté énergétique locale
Alors que la transition énergétique s’accélère et que les collectivités cherchent à reprendre la main sur leur avenir énergétique, l’économie mixte locale s’impose comme une voie avec de l’avenir. À travers une interview croisée, Tiéfaine Concas et Antoine Colin Goguel de la Fédération des élus des Entreprises publiques locales (FedEpl), analysent les ressorts de cette dynamique, les clés de réussite pour les territoires, et les perspectives d’une gouvernance énergétique décentralisée.

Quelles sont les possibilités qui s’offrent aux collectivités territoriales qui souhaitent participer au développement de l’activité de production d’énergies renouvelables sur leur territoire ?
Tiéfaine Concas – Responsable territorial : Les collectivités disposent aujourd’hui d’un large éventail d’outils pour soutenir le développement des énergies renouvelables : elles peuvent s’engager comme facilitatrices, maîtres d’ouvrage, ou encore co-investisseurs. Les Sociétés d’économie mixte (Sem) ou les Sociétés publiques locales (Spl) sont particulièrement adaptées : elles permettent de structurer des projets locaux tout en conservant la maîtrise stratégique, quel que soit le type d’énergie (photovoltaïque, éolien, méthanisation, chaleur). La production d’EnR est un enjeu de transition mais aussi de souveraineté.
Antoine Colin Goguel – Responsable juridique : Au-delà des régies ou des délégations au privé, les collectivités peuvent se doter d’outils plus agiles comme des Sem ou Spl. Elles peuvent également investir via des SAS dédiées à un projet (auxquelles peuvent d’ailleurs participer les Sem) ou des SemOp pour les investissements importants. Cette diversité leur permet d’affiner leur stratégie d’intervention territoriale.
Le développement des Epl dans le domaine des énergies renouvelables est spectaculaire ces dernières années ; quels sont les ressorts qui expliquent ce recours substantiel à l’économie mixte ?
Tiéfaine Concas : Atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 appelle à développer les EnR à un rythme jamais égalé. L’économie mixte contribue à cet enjeu de massification sur tous les segments du renouvelable (éolien, solaire, biomasse, hydraulique, géothermie). Plus de 160 Epl produisent aujourd’hui 1 à 2 % de la production électrique renouvelable soit près de 2 TWh/an, illustrant la volonté des collectivités de garder la main sur des projets stratégiques tout en mobilisant des compétences et des financements privés sur un marché hautement concurrentiel. Dans le détail, il s’agit de Sem d’énergie historiques émanant de syndicats départementaux d’énergie, comme de Sem ou Spl plus récentes installées au niveau intercommunal ou encore d’une évolution de Sem d’aménagement opérant à travers des filiales dédiées. L’Epl offre une réponse concrète à ces exigences. Elle permet enfin d’ancrer durablement les projets dans les territoires en créant des boucles locales de valeur : production locale, retombées directes, réinvestissement des recettes, proximité de la gouvernance, etc.
Antoine Colin Goguel : Il y a sans doute deux raisons à ce développement. D’abord une volonté de maîtrise sur le développement de la production énergétique sur le territoire. Pour y parvenir, les collectivités disposent de l’ensemble traditionnel des outils de contrôle et d’influence publique tels que les permis de construire ou les subventions ; l’économie mixte leur permet d’entrer dans l’économie même des projets et d’orienter leur réalisation. Ensuite, et plus prosaïquement, le souci d’exemplarité sur le foncier public qui appelle à la constitution d’une expertise dédiée, laquelle peut se matérialiser dans une Sem ou une Spl.
Quels sont les enjeux à prendre en compte et les points d’attention pour les collectivités qui souhaitent développer une activité de production d’énergies renouvelables via la création d’une Epl ?
Tiéfaine Concas : Dans le cadre de sa mission d’accompagnement des projets de création d’Epl, la Fédération conseille les collectivités dans leurs réflexions sur les EnR en partageant les expériences du réseau. Un diagnostic territorial solide est essentiel pour définir une stratégie réaliste : les besoins énergétiques locaux, le mix envisagé, l’acceptabilité sociale, les potentiels fonciers, ainsi que les synergies avec d’autres politiques. Il est également essentiel d’identifier les bons partenaires dès le départ. Enfin, il faut anticiper le modèle économique à long terme et appréhender les questions relatives à l’autoconsommation individuelle et collective, à la revente d’énergie et aux dividendes éventuelles. Il permet de confirmer la pertinence de l’Epl et de la positionner correctement sur le marché.
Antoine Colin Goguel : L’important est de définir sa propre stratégie de territoire. On mobilisera ensuite plutôt une SAS pour un projet spécifique, une Sem pour avoir son propre fonds d’investissement et de développement ou une Spl pour maitriser son foncier, mais il faut aller des besoins à la structuration juridique et ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
Quelles sont les perspectives de développement de l’économie mixte dans le domaine de la production d’énergies renouvelables dans les prochaines années ?
Tiéfaine Concas : En dépit des incertitudes liées à la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), les perspectives demeurent favorables. La finalisation en cours des plan climat-air-énergie territorial (PCAET) au niveau intercommunal, l’installation des zones à faibles émission (ZFE), la crise énergétique, et le besoin de résilience locale encouragent les élus à se tourner vers des outils comme les Epl. Des modèles vertueux mêlant EnR et mobilité, des projets associant les citoyens, ou encore des outils dédiés à la massification du photovoltaïque émergent. L’économie mixte peut devenir un véritable levier de souveraineté énergétique locale. Elle intervient néanmoins sur un segment spécifique, notamment en ce qui concerne le solaire. A cet égard, notre fédération est pleinement mobilisée en faveur d’un maintien du soutien au photovoltaïque en toitures.
Antoine Colin Goguel : D’un point de vue économique, la maîtrise du foncier public apparaît de plus en plus comme une des clés de l’évolution des implantations EnR. Un besoin de structuration existe à ce niveau, auquel peut répondre l’économie mixte. La souplesse d’organisation de ces outils permet également d’associer le secteur privé et citoyen comme les autres acteurs publics, et donc de consolider dans les années qui viennent les stratégies territoriales en bénéficiant de point d’appui auprès des collectivités qui ont déjà déployé des acteurs publics. Nous voyons déjà dans certaines régions apparaître ce maillage coopératif de l’économie mixte.
Fédérations des élus des Entreprises publiques locales avec la Banque des Territoires fondent le réseau national des Epl d’énergies renouvelables. A travers des rencontres, les Epl d’EnR pourront profiter de ce nouvel espace pour partager des retours d’expérience sur les schémas opérationnels, les facteurs de réussite ainsi que le suivi du déploiement des Epl d’EnR. Un premier rendez-vous, mercredi 4 juin offrira un aperçu des points à investiguer étayé par quelques réalisations inspirantes ou réplicables.
- Plus d’informations sur la rencontre du 4 juin
- Plus d’informations sur le réseau des Epl EnR